Grap, intelligence artificielle et technologie capitaliste
Quelle intention pour ce texte ? Préambule à destination de la coopérative
Ce texte est à lire comme l'interprétation de nos préambules des statuts à l'orée de 2024, avec ses nouveaux enjeux technico-politiques. Nous ne sommes pas là pour vous dire quoi faire ou ne pas faire. Concrètement,ce texte n’a pas d’intention coercitive pour vous faire arrêter d'utiliser tel ou tel GAFAM.
Ce texte a une double intention. Celle de tribune pour politiser nos actions et amener de la matière pour débattre en interne et externe. Et celle de créer un socle politique pour les enjeux du numérique chez Grap. C'est sur ce socle, friable, incomplet et imparfait, que nous nous appuierons pour prendre des décisions collectives.
Introduction
La porte d'entrée de la discussion est celle de l'L'intelligence artificielle (IA). L'IA semble être devenue incontournable. Tout le monde en parle, donne son avis, explique ce que c'est, ce que ce n'est pas.
Nous nous sommes demandé·es si nous devions imaginer le futur ? Cette technologie va-t-elle remplacer le travail de ma collègue ? Cette autre technologie comporte-t-elle des enjeux environnementales, sociales, démocratiques ?
Ne rien dire, c'est ne pas consentir, mais peut-être un peu accepter que d'autres décident pour nous. Alors tentons de se positionner, humblement et radicalement.
L'intelligence artificielle regroupe un ensemble très vaste de technologies, sujets et représentations chez chacun·e d'entre nous. Techniquement, ces technologies ne sont pas en dehors du spectre large du numérique. Autrement dit, ce ne sont pas des forces d'un nouveau genre. Un ordinateur qui calcule extrêmement vite, avec des données incommensurablement grandes, reste un ordinateur qui calcule.
Nouvelle technologique : mêmes conséquences
Petit état des lieux de différentes conséquences de l'intelligence artificielle.
- "L’autonomie de l’IA [est] "un « spectacle de marionnettes » https://www.nationalgeographic.fr/sciences/2020/10/les-ouvriers-du-clic-le-proletariat-20
- Documentaire sur les travailleurs du clic : https://www.france.tv/slash/invisibles/3302449-invisibles-les-travailleurs-du-clic-version-longue-2022.html
- Conséquences écologiques 🦊
- L'IA, chez Google, consommerait autant qu'une ville de 500 000 habitants.
En plus du désastre écologique de l'ensemble de la chaîne d'extraction des métaux nécessaires pour le numérique, comme le démontre Aurore Stéphant dans sa conférence récente ici.
- Conséquences économiques 💵
- ChatGPT coûterait 700 000 dollars par jour. On ne peut pas sérieusement penser que nos données personnelles ne seront pas monnayés, vu que c'est le modèle dominant des GAFAM
- Reproduction des oppressions 👨🦳
- Ces programmes sont majoritairement écrits par des hommes blancs californiens valides et capitalistes.
- Les algorithmes sont nourris de nos données, elles-mêmes remplies de nos biais. Le serpent se mord la queue.
Oups.. les personnes noires auraient plus de risques de se faire renverser par une voiture autonome
Source : https://usbeketrica.com/fr/article/personnes-noires-chances-renverser-voitures-autonomes
L'IA : est-ce bien sérieux ?
Ok l'intelligence artificielle. Pour répondre à quels besoins ? Pour faire quoi. L'informatique n'est pas une fin en soi.
En tant qu'ingénieur·e, nous sommes conditionné·es à trouver la technique belle, attirante, sans même questionner son intérêt, son éthique ou sa source de financement. Il est grand temps de déserter, bifurquer, trahir.
Tous les indicateurs scientifiques semblent indiqués que nous nous dirigeons vers un anéantissement du vivant. Alors comme le dit Aurélien Barrau :
Quand bien même on effacerait toutes les externalités négatives (ndlr : de l'IA) [...] quand bien même ça marcherait - mais ça ne marchera pas, ils n'y arriveront pas (ndlr : que la technologie nous sauve) [...] ça serait quand même une grosse bouse."
Passage à 20'13'' de ces très bon échanges entre Barrau et Servigne.
La croissance du numérique est de 9% par an. Pour respecter les accords de Paris (qui nous mèneraient à un monde à +2°C qui est déjà catastrophique), nous devons diminuer l'ensemble de la production des biens et services de 10% / an. Le numérique ne produisant que de l'effet de rebond de consommation, nous ne sommes pas sorties le cul des ronces.
Voir à ce sujet "Pourquoi et comment démanteler l'intelligence artificielle?" au séminaire à l'INRAE de Romain Couillet : https://polaris.imag.fr/romain.couillet/docs/videos/TalkINRAE.mp4
Le capitalisme nous entoure, nous modèle, nous façonne, crée nos rêves et nos cauchemars. La réponse individuelle face à cela est limitée. Mais collectivement nous pouvons résister, et comme le dit Corinne Morel Darleux "refuser de parvenir et cesser de nuire", soit refuser ces technologies brillantes mais mortifères.
Refuser de parvenir et cesser de nuire"
Pour une alternative numérique radicale
Inspirons-nous du manifeste de Louis Derrac pour un alternumerisme radical. Travaillons sur la ligne de crête entre les tendances parfois réactionnaires du refus de toute technique et celle inverse du techno-solutionnisme ; pour construire un numérique acceptable.
Nous pouvons aussi nous diriger vers les concepts de technologies conviviales, appropriables par chacun·e d'entre nous, bidouillables, ouvrables, maîtrisables et de fait, démocratiques.
Lire cet article de Reporterre parlant de la convivialité d'Ivan Illitch : https://reporterre.net/Pour-la-liberation-de-l-humain-la-societe-conviviale-d-Ivan-Illich
Des technologies qui n'appartiennent pas aux entreprises les plus puissantes du monde qui ne cherchent qu'à acquérir plus de pouvoir pour les 0,1% de la planète, au détriment du vivant et des conditions d'habitabilité des humain·es sur Terre.
Notre conclusion
L'intelligence artificielle peut-elle devenir conviviale et low-tech ? On peut regarder du côté de Mozilla qui construit des communs ? Ou regarder du côté d’autres initiatives - véritablement opensource - basé sur les mêmes idées techniques que ChatGPT.
Même si ces objets étaient parfaitement neutres d'un point de vue carbone, qu'ils seraient 100% en logiciel libre et développées par des gens bien salariées.. ces objets sont-ils vraiment utiles ? Ou viendront-ils seulement nous rendre toujours plus dépendant de nouvelles technologies, impliquant elles-mêmes de nouvelles technologies.. à l'heure où 8,4 millions de français·es de plus de 15 ans sont en situation d'illectronisme ?
Un GPS est devenu un outil quasi indispensable. Dans les années 90, est-ce que nous nous sommes dit : tiens, j'arrive plus à aller chez mamie, j'aurais tellement besoin d'un GPS. Non. Qui a encore une carte routière ? Qui s'autorise à perdre 5 minutes à regarder un plan ou à se perdre dans la ville ? Le système capitaliste nous écrase de ses nouveaux objets qui nous rendent dépendant de lui.
On a jamais désiré un GPS et la plupart des gens ne pourraient plus supporter de perdre 10 minutes à utiliser une alternative aux GPS des Gafam
Passage dans ce bon podcast : https://soundcloud.com/numeriques-essentiels/episode-12-politiser-la-numerisation
Alors nous décidons humblement d'aller marcher sur une ligne de crête radicalement techno-critique mais non technophobe.
Nous décidons de mettre notre énergie collective à construire des outils Libres, les plus conviviaux et accessibles possibles.
Nous décidons d'accompagner la technique par le plus d'humain·es possibles, qualifié·es à accompagner d'autres humain·es à s'emparer et s'empouvoirer avec ces outils numériques.
Le pôle informatique de Grap
Cas concret pour les activités de la coopérative
Concrètement, cela nous pousse à chercher à embaucher une 4ème personne au pôle informatique en lien avec les activités, plus qu'un profil de développeur·se.
Pour épaissir le trait : on préfère moins d'outils plus maîtrisés et émancipateurs, que plus d'outils seulement utilisés par une minorité de personne à l'aise avec le numérique.